Trajectoires et transactions des modèles urbanistiques en Méditerranée

Les valises du progrès urbanistique, modèles, échanges et transferts de savoir entre la France et l’Algérie

Date de parution : 2010
Éditeur : EMAM.revues.org
Collection : Les Cahiers de l’EMAM
Pages : pp. 33-58
Domaines : Architecture - Urbanisme - Formation
Site web :  : http://emam.revues.org/163

L’Algérie et ses urbanistes

Extrait

De la conquête, en 1830, à l’apparition des premiers diplômés de l’IUUP au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’aménagement urbain sera pris en charge par une multitude de personnages aux activités et aux qualifications professionnelles diverses. Si les ingénieurs du Génie militaire —souvent polytechniciens— et les architectes dominent, il faut cependant partir de l’idée que bon nombre d’aventuriers aux compétences et d’obédiences diverses se sont largement immiscés dans un domaine encore mal délimité malgré des réalisations souvent remarquables de simplicité et d’efficacité. Bien évidemment, il s’agissait d’une conquête coloniale faite au mépris des populations indigènes, de brutalités, de destructions et de spoliations diverses. Même chez les esprits supposés progressistes et socialisants, comme les fouriéristes, phalanstériens et saint-simoniens, la part de prise en compte des spécificités locales face aux ambitions civilisatrices fut proche du néant. Les images idéal-typiques d’une vie communautaire largement fantasmée ou les projets utopiques cherchent plus à faire advenir un monde nouveau issu des espoirs suscités, et des frustrations correspondantes, par l’industrialisation européenne qu’ils ne s’inscriraient dans le sillage, au demeurant peu porté sur la planification dessinée et la programmation centralisée, d’une urbanisation vernaculaire quelque peu en sommeil. Si Jean-Jacques Deluz fut l’un des premiers théoriciens de l’urbanisme algérien à retracer le chemin parcouru depuis le Plan de Constantine en nous rappelant le rôle joué par les architectes et urbanistes du mouvement moderne en Algérie, et notamment dans la capitale, on doit à Saïd Almi d’avoir repris la question selon un plus large spectre. Les deux approches, toutes deux sensibles aux discontinuités et aux divergences de vue et aux façons de procéder, méritent d’être approfondies et complétées par des données nouvelles et plus précises. C’est l’optique dans laquelle se placent des travaux, prioritairement monographiques, et avant tout d’histoire ou de géographie urbaines, ayant le mérite d’extirper des archives et des sources littéraires de la période coloniale —mise ainsi à profit pour sortir d’un oubli déplorable— des informations indispensables pour aborder l’espace urbain avec le recul de l’histoire et selon des approches longitudinales construites selon des problématiques particulières. Notre contribution à cette réflexion partira de sources souvent méconnues, lacunaires et encore mal explorées concernant les enseignements d’urbanisme et des travaux d’étudiants portant sur l’Algérie.
Pendant quelques années encore, c’est-à-dire le temps que les autorités algériennes relèvent le défi de la fabrication locale des élites urbanistiques du pays au début des années 80, un véritable contingent d’étudiants, à vrai dire massif et jamais véritablement interrompu, affluera dans une université française que rien n’avait préparée aux questions dont étaient porteurs les futurs urbanistes, quand ils le sont devenus, et restés. On ne peut par conséquent que difficilement espérer répondre à leurs attentes dès lors qu’il s’agit à la fois de développer la recherche urbaine à partir de toutes les sciences sociales disponibles —mais pas toujours développées sur un terrain de plus en plus mouvant, inaccessible ou incompréhensible—, et de répondre dans l’urgence et l’indigence conceptuelle à des problèmes échappant peu ou prou à tout le monde.
Ma conclusion, si tant est qu’il faille en faire une, sera brève et elliptique. Seuls soit les historiens, soit les multiples acteurs locaux en cours d’urbanisation accélérée nous semblent en mesure de dessiner les voies possibles d’une réconciliation de l’Algérie avec son passé au point d’inventer non pas un modèle, une doctrine ou des théories d’urbanisme sur une docte façon d’ordonner la mosaïque chaotique de la société algérienne, mais d’appendre à chaque citoyen à composer avec l’altérité des voisins. Il faudra surtout que les autorités s’abstiennent d’imaginer pouvoir imposer un ordre suprême descendu du ciel de la planification pour accompagner intelligemment une urbanistique d’émanation populaire avec laquelle il faut apprendre à composer. Le ciel est au demeurant toujours aussi lourd de nuages ombrageux et les éclairs d’espoir d’une lente, mais opiniâtre amélioration des conditions d’existence, ne pourra tracer une voie acceptable que dans une paix sociale permettant l’invention de solutions négociée au quotidien, et sur place.