Projet scientifique
Axe 2 : Justice et inégalités (2016-2024)

Logement, espace public et dictature au Venezuela

Revue : AOC
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Date : mardi 24 septembre 2024

Statues de Chávez renversées, casserolades, et rassemblements : cet été, les rues vénézuéliennes se sont enflammées en signe de protestation à la réélection contestée de Nicolas Maduro. L’espace public est devenu le dernier bastion d’expression démocratique dans un pays où le pouvoir chaviste est parvenu à contrôler l’espace privé par le biais d’un clientélisme idéologique.

Extrait :
L’espace public, dernier lieu d’expression démocratique ?

En une nuit, le courroux d’un peuple bafoué dans ses droits démocratiques a remplacé la sidération des résultats. L’immense frustration des Vénézuéliens a rapidement glissé de l’espace domestique avec les concerts de gamelles vers l’espace public où, l’après-midi du 29 juillet, les rues de Caracas et de toutes les villes du pays sont devenues le lieu des très nombreux rassemblements spontanés. Plus emblématique, trois statues de Hugo Chavez ont été renversées, marquant un virage dans l’histoire de la révolution bolivarienne : jamais, au cours de manifestations, les foules en colère ne s’étaient attaquées au maître à penser du dit « socialisme du 21ᵉ siècle ». Comment ce gouvernement, déjà promoteur de faits autoritaires, a-t-il utilisé une nouvelle fois son pouvoir afin de rester en place, malgré le rejet de près de 70% de la population ? Quels rôles les espaces publics et privés ont-ils joué dans le système politique totalitaire désormais en vigueur ? Comment celui-ci s’est-il mis en place et a-t-il conduit à faire de l’espace public le seul lieu possible de la contestation ?
Durant de nombreuses années, une certaine prudence a primé chez les chercheurs et observateurs pour qualifier le gouvernement vénézuélien d’autoritaire plutôt que de totalitaire. Les gauches régionales et européennes ont préféré, sans discernement parfois, défendre des intérêts économiques (accords avantageux autour du pétrole ou des minéraux) ou idéologiques (l’espoir suscité dans les années 2000 par la marée rose sud-américaine). Aujourd’hui, la politique vénézuélienne ne s’inscrit ni dans une dualité gauche-droite, ni dans un système démocratique, car même si l’appareil institutionnel existe, il s’est montré, une nouvelle fois, inféodé au gouvernement, dysfonctionnel à garantir l’expression démocratique. La répression forte de l’État qui s’est mise en route dès le lendemain des élections présidentielles et le refus du gouvernement de dialoguer avec les opposants marquent un virage net de l’autoritarisme vers le totalitarisme, selon la définition qu’en donne Hannah Arendt (1951) : la manipulation d’une « masse atomisée » par une idéologie qui vise à éradiquer les différences, conditions du débat démocratique. Cette répression s’est observée par la montée fulgurante de pratiques irrégulières (arrestations aléatoires, kidnappings de manifestants, dénonciations) dans les espaces publics et privés. Michel Foucault (1975) avait montré, à partir du familistère de Guise et du panoptique de Bentham, comment le logement était devenu un outil de surveillance. Mais, c’était à l’échelle du bâtiment. Plus tard, les réformateurs sociaux occidentaux ont, en Europe, fait du logement un outil d’intégration et d’inscription sociale, voire d’affiliation, comme l’écrit Castel (1995). Certes, la production de logements a toujours été dans les systèmes staliniens un outil de surveillance des individus, mais au Venezuela, l’ancrage d’une dictature au travers de l’espace privé semble spécifique.